Pendant mon enfance

Exposition Norbert Pagé – Atelier de la Gitonnière – Novembre 2007

Pendant mon enfance, mon père aurait pu me dire : regarde, les arbres qui sont éloignés sont dépourvus de branches…

A l’heure où la mode est à la vulgarité, la peinture de Norbert Pagé, au-delà de l’effet, s’engage délibérément hors du temps pour s’accomplir dans l’acte de l’interprétation gestuelle : la transmission d’un message visuel et sensoriel en langage pictural.
D’une langue où le sentiment (dans le sens de l’émotion) est plus physiologique qu’affectif, il en devient, de fait, plus grand que la connaissance. Norbert pagé ainsi lentement désapprend la peinture.
Puisque cette peinture n’est pas vulgaire, qu’elle ne concerne pas la foule, elle porte par antonymie une relation étroite au voyage singulier de l’expérience acquise à celle inventée (extraordinaire).
Elle se jouera séductrice ou provocante de notre œil candide cachant sa laborieuse gestation par de subterfuges constructions plastiques.
A cet égard, le trouble mérite patience… chaque œuvre est digne d’un royaume, unique pays ou le poète est roi.
Contrairement à d’autres, Norbert n’est pas un peintre de la rupture, de l’isolement, du détail (je pense à Tal Coat en particulier).
Sa vision embrase, rassemble l’étendue, il y va de l’épanchement, de l’étreinte, comme si tel un démiurge voulant laver la surface d’un monde stagnant, il se confondait avec la vague conquérante d’une grève miroitante, dévoilant son reflux. Son analyse de l’arbre comme un manteau du vent, une algue de l’espace, la chevelure d’Eole renforcera ce côté globalisant.
Au paradoxe de se confronter et d’éprouver les limites de la toile, comme la chute des trières au bord d’une terre carrée, et même si par illusion les tondos un instant pratiqués pourraient par un effet d’aspiration nous happer sans retenue, le stratège en habile capitaine nous conduira dans les abysses même de cette liquidité, dans l’épaisseur même de ces limons étirés.
Lavée, attaquée, griffée, retournée puis caressée, effleurée, soufflée, l’on comprendra ainsi que sa toile a vécu l’expérience du corps à corps, telle la sarcleuse sur le champ labouré, tel le sentier arpenté par le promeneur nomade.
C’est bien un lien secret qui les unit, ce nœud si complexe sera sans dénouement, il n’y aura pas de fin heureuse, ni de drames austères, puisque cette peinture n’est pas un récit mais bien la transmission du phénomène contemplatif, et je le sais bien, puisqu’il m’a fait aussi, qu’il m’a tressé ainsi, que la peinture avant d’être globale est bien l’analyse sensitive du spectacle offert.

François Pagé
Novembre 2007

Regarde les arbres, si l’on s’éloigne encore, leur ombre se confondra avec la terre, ils disparaîtront alors.