Mon jardin secret se situe dans le sud de notre département aux limites de la « Creuse », cette terre de Touraine appelée depuis peu « Sud Touraine ».
Terre de l’intérieur, loin du regard des touristes habitués à visiter suivant les recommandations des guides prévus à cet effet. Cette terre qui m’a vue naître, c’est la vallée de l’Eves, bien enfouie entre les collines où coule une petite rivière qui jadis alimentait les nombreux moulins hélas disparus, seul celui du village fonctionnait encore pendant mon enfance.
Terre labourée de l’automne, mélange d’ocre et de terre de sienne foncée avec des traces noires sur ses pentes sinueuses bien dessinées au dessous des bosquets dont les chênes, couleur de bronze doré, tardent à laisser tomber leurs feuilles sur un sol détrempé, devenu miroir et dégageant cette forte odeur d’humus où plane le soir venu des ombres chères à Victor Hugo, où l’on peut entendre le violoncelle de Rostropovitch interprétant les suites de Bach. Combien de fois ais-je parcouru ces bois et ces champs lorsque j’étais enfant, seul avec mon petit carnet à dessins, essayant de reproduire la nature telle que je la voyais. Feuilles rouge et or des rangs de vigne que possédait chaque fermier, eux aussi aujourd’hui disparus (aoc oblige).
L’hiver et ses plaines enneigées où je tendais des pièges fabriqués avec du crin de cheval, dissimulés parmi les rangs d’asperges où venaient se prendre les alouettes.
L’été, mon terrain de jeux se situait dans la rivière riche de joncs et d’herbes sauvages formant d’impénétrables sentiers où nous allions avec les enfants du village jouer à la guerre avec nos fusils en bois, trous d’eau où dormaient les brochets, larges gués peu profonds où nous posions nos bouteilles en verre remplis de farine et de son, afin d’attirer les petits vairons que ma grand-mère s’empressait de nous faire cuire. Les heures passées couché dans l’herbe à regarder les nuages, ces énormes cumulus où les formes les plus extraordinaires apparaissaient et se transformaient suivant mon imagination ; j’y ai vu aussi la nonchalance des bœufs tirant la charrue ou menant le grain au moulin du village, « Cajou » et « Lapi » étaient leurs noms, c’était l’occupation allemande et les tracteurs n’avaient pas encore fait leur apparition. Le chemin de Robinson traversait les bois avec ses grands arbres aux silhouettes inquiétantes que j’empruntais chaque jour pour me rendre à l’école distante de 3 kilomètres. Libre, inconscient mais heureux de pouvoir vivre en pleine nature malgré notre pauvreté.
Ce jardin de mon enfance alimente constamment mon imaginaire à produire des œuvres imprégnées à tout jamais de ces lieux et de ces odeurs uniques à notre Touraine.
Norbert Pagé
26 novembre 2003