« La circulation des sèves inouïes »

Le discours autorisé (celui, des médias spécialisés) voudrait nous faire croire que la peinture est moribonde, et que, seuls, l’art conceptuel, les installations, l’art vidéo ou les performances sont à même de dire notre temps. Il va de soi que les propositions plastiques issues des pratiques et des techniques du moment atteignent parfois à l’art, mais l’on tient qu’en la matière « l’académisme d’avant-garde » fait aussi des ravages…

Un certain jusqu’au-boutisme, en ce domaine nous insupporte, qui va pousser certains artistes à cacher qu’ils font des tableaux : (1)

Le discours autorisé (celui, des médias spécialisés) voudrait nous faire croire que la peinture est moribonde, et que, seuls, l’art conceptuel, les installations, l’art vidéo ou les performances sont à même de dire notre temps. Il va de soi que les propositions plastiques issues des pratiques et des techniques du moment atteignent parfois à l’art, mais l’on tient qu’en la matière « l’académisme d’avant-garde » fait aussi des ravages… Un certain jusqu’au-boutisme, en ce domaine nous insupporte, qui va pousser certains artistes à cacher qu’ils font des tableaux : (1)

Norbert Pagé, qui a la chance de vivre de art en toute indépendance, et qui s’inscrit dans le courant abstrait issu de l’après-cubisme, n’a

cure des modes. Sans doute, sa qualité de provincial constitue-t-elle, pour lui, une position salutaire…

Trois sortes d’objets sont ici exposés : des toiles, des gravures, et un livre d’artiste toutes oeuvres où l’abstraction balance entre le paysage et sa révocation. On veut dire que le peintre porte volontiers l’accent sur la substance picturale avant que celle-ci n’accède à telle ou telle forme reconnaissable. Sur les huiles par exemple, les ciels (qui n’avaient jamais atteint à ce nuagisme classique chez l’auteur) surplombent des éléments qu’il est encore impossible de nommer. D’un coté donc, des atmosphères, quasi immatérielles, de l’autre, des pâtes, denses ou fluides, voire étirées (c’est selon), non encore assujetties aux contours des choses.

Le même principe d’incertitude règne dans les gravures, à cette différence près, toutefois, que l’encre amène le blanc du papier (la réserve) à osciller entre ces deux « lieux » que seraient l’espace vierge d’avant la trace (mais qui appellerait celle-ci), et le vide qu’en Occident nous nous acharnons à confondre avec le rien…

Je ne sais si l’Orient habite, à quelque degré que ce soit, Norbert Pagé, mais je sens bien, face à certaines de ses oeuvres, qu’un glissement s’opère.

Pierre Fresnault-Deruelle

(1) Et cela pour ne pas risquer la disgrâce des institutions dont ils dépendent…

Photo : Norbert PAGE à l’atelier (photo Alain Le Berre)