Je connaissais la peinture de Norbert Pagé, mais n’avais encore jamais rencontré ses gravures.
Quelle découverte ! Le message est là tout entier gravé sur les grains d’Arche porteurs de sens et de gestuelle. Geste d’amour, geste de foi. Transport de l’âme et du corps -l’outil et la main ne font qu’un !
Ciselures d’ombre et de lumière. Le cœur et l’esprit guident la main, par l’outil prolongée… et le burin entaille la matière comme la propre chair de l’artiste artisan.
La gravure, je crois, donne encore plus que la peinture. Elle s’en différencie par sa profondeur, sa force à l’état pur, son mouvement. Mouvement ample ou serré, appuyé ou retenu, contourné, chanfreiné, artisanalement buriné… et infiniment respectable.
Le corps et l’esprit du graveur s’inscrivent totalement sur la matière, en osmose de projection. Une œuvre intérieure en trois dimensions. La quatrième, offerte à l’image du regard extérieur.
Ce regard, je l’ai porté et longuement posé, comme à l’arrêt sur la gravure en hommage à Rimbaud, en communion avec le souvenir du poète.
Choc émotionnel total ! Arrêt sur image, plongée, contre-plongée, travelling va et vient du mental au mouvement oculaire… Une inconsciente technique cinématographique.
Un transport au cœur de l’œuvre, conduisant à découvrir toute la richesse de sa substance et la vigueur de son message.
Dans un premier temps, je suis resté assez ‘terre à terre’, campagnard, villageois… quelque part en Ardenne, en Touraine … ou ailleurs.
Puis, dans un deuxième temps, j’aurais sans doute suivi Rimbaud, comme Verlaine ou Baudelaire, dans une invitation au voyage, au départ, à l’au-delà…
J’aurais moi aussi franchi la porte symbolique du désert, la porte de la contemplation solitaire et quasi biblique, avec un double sentiment : d’une part , de brutale et mortelle destruction, et, d’autre part, de vivante et sphérique ouverture, espoir de renaissance et de recommencement après l’explosion ‘Big Bang’ d’un bouquet d’arbres … au-delà d’une colline, en compagnie de Charles-Eugène de Foucauld ou Pierre Teilhard de Chardin, à la rencontre de l’eau vive, sous la croûte terrestre ou désertique, comme au contact coule la sève au plus profond de la pointe sèche sur la matière.
La superbe et très forte gravure de N. Pagé, émouvant hommage au poète » alchimiste du vers » est touchante de pathétique dans sa simplicité, son vibrant dépouillement en noir et blanc et son apparent dénuement. Ainsi, les pieds dans ses racines, mais aussi bien ailleurs, dans la boue ou sur le sable chaud … sur les pas de Rimbaud, Norbert Pagé vise à l’essentiel : la poésie universelle, communicative et fraternelle à travers l’errance du poète.
L’offrande gravée de l’artiste est en même temps plus complexe et plus simple que le plus magistral ou le plus talentueux des commentaires. Interrogation essentielle et divine sur la Création, l’Homme, ses origines et son avenir, elle est aussi une interrogation tous niveaux, une rencontre tous azimuts dans sa’pluridualité’ : la vie/la mort, le ciel/la terre, le noir/le blanc, le clair/l’obscur, la certitude et le doute, le visible et l’invisible, l’être et le néant, l’habité et le déserté… » la trace » et » l’espace vierge » dirait Pierre Fresnault-Deruelle.
En somme, l’œuvre de N. Pagé, et plus encore sa gravure » Hommage à Rimbaud » est d’abord une question ouverte, picturale et poétique, subtilement gravée en mémoire et à la mémoire du grand frère Arthur. Gravure à la fois sobre et incertaine, mais également très percutante et suffisamment parlante pour que chacun découvre et s’y découvre selon sa sensibilité… du plus petit lopin de terre au plus grand désert africain. Une œuvre en harmonie avec toute forme d’art au service d’une même cause : la communication. Pas celle qui cherche à s’imposer ou à imposer sa vérité, mais la communication vraie. Celle qui suggère en toute humilité, celle qui échange et partage.
Jean-Pierre Asselinne
Avon-les-Roches, le 12 Avril 2000